Vonlanthen, écrire à l’os

Lauréat du Prix Ramuz qui lui est remis ce matin, le Fribourgeois marie le poétique au somatique pour dessiner le squelette fragile de l’existence

Né en 1987, Olivier Vonlanthen est entré en littérature avec une nouvelle publiée par

Poésie Il y a 206 os dans le corps humain, autant de fractures et de poèmes possibles. «Ma première idée était de les écrire tous, mais cela s’est révélé trop ambitieux et j’ai craint l’éparpillement. J’ai donc préféré cette forme plus minimaliste», explique l’auteur d’Ossuaires, dont il vient de recevoir le premier exemplaire qu’il feuillette avec une forme d’incrédulité vaguement fière. L’ouvrage, publié aux Editions Empreintes, a la beauté acerbe des élans inauguraux et déjà les attributs de la reconnaissance: il est ceint d’un bandeau qui l’honore du Prix Ramuz, remis ce matin à Pully.

Une consécration destinée à célébrer les «nouveaux talents» de la poésie romande, et qu’Olivier Vonlanthen, lui si enclin à la discrétion, reçoit comme une faveur contingente, une distinction presque fortuite. «J’avais déjà écrit le premier chapitre du recueil, et l’annonce de postulation pour le prix m’a incité à écrire la suite: j’y voyais surtout l’occasion d’aller au bout d’un projet d’écriture. Ensuite cela m’est complètement sorti de la tête…» Lorsqu’un dimanche pluvieux il reçoit l’appel enjoué d’un membre du jury, le lauréat croit d’abord à un canular. Avant de prendre conscience qu’il est devenu poète.

Rage et bizarrerie

Rien de rimbaldien, pourtant, chez ce trentenaire d’apparence placide que l’on rencontre au bistrot, où il se confie avec la crainte d’en dire trop. Poète? Nulle mythologie aux maudites floraisons. Dans son parnasse personnel, les classiques s’effacent d’ailleurs devant ces hérauts modernes de l’indicible, Artaud, Beckett; devant ces soliloqueurs aux images sonores, Jehan-Rictus, Gaston Miron et son inspirateur Aimé Césaire. Splendeur et puissance, rage et bizarrerie – où la langue ronge l’os existentiel. «J’aime ces écritures des tripes, de l’intensité. La poésie est pour moi une façon d’apprivoiser la fragilité, la douleur physique et psychique d’être au monde. L’écriture me fait d’ailleurs un bien fou!»

Du mal dont elle procède, des impartageables traumatismes qu’elle soulage, il n’en dira mot; lui déjà mis à nu jusqu’au squelette dans cette trentaine de poèmes serrés comme des poings, composés «pour un peu tenir debout». De fait, son livre possède ce qui trop souvent fait défaut aux premiers recueils: un principe structurant, une ossature forte. Au sein de laquelle vibre une moelle sombre, endolorie, affleurant à la surface du vers quand menace la brisure. Du fémur aux phalanges en passant par métatarse, zygomatique, sacrum ou scaphoïde, sa poétique anatomique radiographie la fragilité de l’existence et du corps qui la conditionne.

On songe à Ramuz qui, sortant acheter ses Gauloises un matin de janvier, glisse sur le verglas et se casse l’humérus: de cette «redoutable obligation à la patience» il tirera l’un de ses rares textes du soi, Une main (1933). Chez Olivier Vonlanthen, c’est la jambe, tout d’abord, avec ce tibia fracturé lors d’un accident de la circulation, puis le crâne et sa symbolique funeste, le dos où loge l’anxiété, enfin la main qui ouvre au désir et réassemble l’épars.

Du vers librement brisé au régulier sonnet conclusif, ses Ossuaires sont une patiente reconquête de la forme, une ostéosynthèse du langage et de l’intime à travers les curiosités du vocabulaire somatique. «J’ai beaucoup frayé avec la médecine, pour plein de raisons, confie l’auteur à demi-mot. J’y ai découvert un lexique riche de résonances poétiques, à l’image de l’os naviculaire, en forme de navire, du coccyx qui vient du coucou, ou encore du semi-lunaire… Magnifique non?»

Par les voies mystérieuses de l’étymologie, chaque organe ouvre ainsi un champ lexical que le poète explore entre ludisme et hermétisme, où se cristallise une vibrante intensité émotionnelle: «J’ai cherché dans mon corps quelques os pour le dire», chante-t-il en parfait alexandrin. Et depuis sa nouvelle publiée l’an passé dans la revue L’Epître, le Je s’est affirmé, par-delà les pudeurs légitimes: «De manière générale, je n’aime pas trop me mettre en avant. Ces poèmes sont nés d’événements qui m’ont secoué, mais j’ai tenté de les universaliser pour dépasser le biographique», explique celui qui enseigne le français au Collège de Gambach depuis 2015, et dont les élèves curieux auront probablement lu les vers comme s’ils lisaient sa vie en transparence.

L’écrivain malgré lui

Oui, écrire un livre, c’est toujours se livrer. Et ce premier ouvrage, publié presque malgré lui, ouvre une voie que le Fribourgeois ne soupçonnait pas. «J’ai écrit un roman de 150 pages que je viens d’envoyer à plusieurs éditeurs, et j’ai d’autres proses dans les tiroirs. Mais ce prix m’a permis de prendre conscience que ma sensibilité tirait plutôt du côté poétique. Pour moi qui ai parfois de la peine à cerner mes propres désirs, j’y ai vu une sorte de validation, un peu improbable, de quelque chose qui couvait en moi. Peut-être qu’au fond, la poésie, c’est mon truc?»

Les ébranlements de l’ossature font de bons poèmes. Sur son manuscrit d’Une main, Ramuz avait emprunté à Goethe cette épigraphe, avant d’y renoncer pour la publication: «Utilise ce qui t’advient».

Remise du Prix Ramuz aujourd’hui, 11 h, salle Davel, Pully.

En dédicace à Fribourg, librairie Albert le Grand, 25 mai, dès 18 h 30.

Olivier Vonlanthen, Ossuaires, Ed. Empreintes, 60 pp.