Des questions autour du F-35

Un document interne à l’armée «s’interroge» sur les capacités de l’avion américain

L’avion de combat F-35A de Lockheed Martin fait partie des quatre postulants sélectionnés par Berne.

Jets de combat L L’armée joue gros et la lutte sera rude. Le 27 septembre, le peuple votera sur l’achat de nouveaux avions de combat. Le Conseil fédéral lui soumet une enveloppe de six milliards de francs, sans préciser le nombre et le modèle d’engin. Il ne fera son choix qu’à la fin de l’année parmi les quatre candidats en compétition, si la population vote oui. Le gouvernement veut éviter de cristalliser l’attention sur un jet et de revivre la débâcle du jet suédois Gripen, rejeté en votation en 2014.

Officiellement, le Département fédéral de la défense (DDPS) ne pipe mot sur les capacités de chaque candidat. Mais en coulisses, la situation est autre, comme l’illustre un rapport interne daté du début du mois. Dans ce document que nous avons consulté, le Service militaire de renseignement (SRM) se pose des questions sur la qualité de l’avion américain F-35A de Lockheed Martin, qui fait partie des quatre postulants sélectionnés par Berne. «On est en droit de s’interroger sur les capacités supersoniques du ­F-35A, la version destinée à l’US Air Force et à la plupart des clients à l’exportation.»

Lacunes détectées

En cause: des lacunes détectées dans les autres modèles de la famille, le F-35B et le F-35C. Selon le rapport, les types B et C «souffrent de sérieux problèmes lorsqu’ils utilisent la postcombustion». Le Renseignement militaire se demande si le F-35A rencontre les mêmes ennuis.

Postcombustion? Il s’agit d’une sorte de turbo, de gros coup d’accélérateur. Ce dispositif donne une surpuissance temporaire au jet et est nécessaire pour rejoindre très rapidement un autre appareil. Sous son effet, et à partir d’une certaine vitesse, l’aéronef se retrouve en «vol supersonique». Les Forces aériennes suisses utilisent la postcombustion dans des missions de police du ciel, lorsqu’elles doivent par exemple rattraper un avion de ligne (pour le contrôler ou l’assister) lancé entre 850 et 900 km/h. Pour y arriver, il faut voler une fois et demie plus vite sur une certaine distance.

Toujours d’après le document militaire, la postcombustion entraîne chez les F-35B et F-35C «une augmentation excessive de la chaleur à l’arrière de la cellule de l’appareil, qui est soumise aux contraintes aérodynamiques particulières du vol supersonique. La chaleur du réacteur lors de l’utilisation de la postcombustion a provoqué des bulles et des cloques sur le revêtement RAM (Radar Absorbent Material) des F-35B/C». Le Ministère américain de la défense, le Pentagone, a admis fin avril «qu’il ne pourra pas corriger les lacunes».

Ces difficultés connues par le B et C sont-elles également présentes dans le modèle A, que l’armée suisse pourrait acheter? C’est la question que pose le Service de renseignement militaire.

Contacté, le fabricant américain du F-35A, Lockheed Martin, répond par la négative. «La chaleur émise par la postcombustion ne présente aucun problème pour le F-35A, dont la postcombustion n’a pas les mêmes caractéristiques que les modèles B et C. La capacité du F-35A en postcombustion ou en vol supersonique n’est donc pas remise en question», assure un porte-parole.

Discrétion officielle

Le constructeur relativise les lacunes des variantes B et C, qui ont poussé l’armée américaine à limiter les durées de vol à haute vitesse. «Les limitations de temps de vol pour les modèles F-35B et F-35C interviennent à des vitesses qui ont peu de probabilité d’être atteintes en engagement réel. Ainsi, les défauts ont été trouvés sur ces deux modèles à l’occasion d’exercices durant lesquels les machines ont été poussées au maximum de leurs capacités à plusieurs reprises.»

A Berne, l’Office fédéral de l’armement (Armasuisse), responsable des tests des candidats, ne se prononce pas officiellement. «Le Département fédéral de la défense entretient un échange régulier avec tous les candidats au sujet de leurs offres et de thèmes actuels.» Il «ne donne par principe pas de renseignements spécifiques sur les contenus des discussions», poursuit le chef de la communication, Kaj-Gunnar Sievert, qui renvoie au fabricant Lockheed Martin. «Le F-35A a accompli le même programme d’essais que les autres candidats, dont une mission de police aérienne avec vol supersonique.»

Les résultats de ces essais, effectués l’an dernier à Payerne, demeurent secrets. Le match se poursuit entre le F-35 et ses trois concurrents, le français Rafale, l’européo-allemand Eurofighter et l’américain F/A-18 Super Hornet.