Faire revivre le métier d’une vie

Au home Les Martinets, la profession des résidents est à découvrir à travers un livre et une exposition

Villars-sur-Glâne Là des miches de pain emplissent les paniers en osier, ici une machine à coudre se tient prête pour les dernières retouches. Passé le seuil de l’exposition Un métier, toute une histoire, le visiteur est directement immergé dans les professions de 17 résidents du home Les Martinets, à Villars-sur-Glâne. Une mise en scène imaginée par l’équipe d’animation de la résidence et qui accompagne les récits de vie récoltés par Fabienne Gauye. «C’est un travail qui s’est fait à deux, dans un moment d’échange avec la personne âgée», assure la juriste à la retraite, qui s’est formée à cette démarche à l’Université de Fribourg.

Dans le recueil qui accompagne l’exposition, le lecteur découvre des anecdotes professionnelles mais aussi beaucoup d’émotions. «Même si les discussions avaient pour cadre le métier, des éléments de vie privée sont ressortis. Ils apportent de la richesse au projet», précise-t-elle. Avant d’ajouter: «Les résidents rencontrés m’ont donné une belle leçon sur comment bien vieillir.»

Des parcours différents

Amédée Torche, bientôt 95 ans, est l’un d’entre eux. Installé dans un fauteuil en cuir, une pile de livres sur la table à ses côtés, le Fribourgeois donne vie au «tableau» qui lui est consacré. Parlant couramment l’italien et l’allemand, il a notamment travaillé comme traducteur pour l’ancienne administration des Postes, télégraphes et téléphones (PTT), jusqu’à diriger le service. Celui qui lit traités et dictionnaires avec intérêt confie: «J’aurais aimé étudier, mais nous n’avions pas les moyens.»

Arrivé au home il y a deux ans, ce fringant aîné s’y est refait une santé: «Grâce à la volonté, on oublie de vieillir. Je suis un privilégié.» Pas nostalgique de sa vie professionnelle, il plaint même la génération actuelle. «Maintenant que le travail se déshumanise de plus en plus, je suis content d’avoir exercé à une autre époque», relève-t-il à propos de la numérisation de notre société.

Noël Philipona, 97 ans, est aussi un amoureux du verbe, mais prononcé en patois de la Gruyère. Dans son tableau à lui: des bottes de paille et une fausse vache noir et blanc. «C’est Olga, un cadeau de mes enfants», explique-t-il avec un accent chantant. Celui qui a exercé une ribambelle de professions, chérit dans son cœur celle de paysan. Il porte justement sa tenue d’armailli. «C’est l’habit que l’on met pour les fêtes et les occasions spéciales», détaille-t-il.

Egalement très élégante, Rose-Blanche Haag, 107 ans, préside une table dressée où est placé un tube de Parfait. Une invention de son époux, Erwin Haag, qu’elle a aidé à peaufiner. «J’étais sévère, il a dû faire plusieurs essais avant que je ne trouve ça bon», confie-t-elle avec malice. Mais la vie professionnelle de cette chimiste ne se résume pas à l’invention culinaire.

Tour à tour professeure d’enseignement ménager, chroniqueuse pour La Liberté, elle crée aussi le premier service de consultation conjugale du canton. «C’est dans mon ADN, j’ai toujours eu besoin d’entreprendre, d’être ouverte aux autres et j’ai la santé», explique-t-elle. Elle ne fait d’ailleurs que passer quelques semaines au home, le temps des vacances de son aide-soignante.

Un peu plus loin, Hélène Moret découvre pour la première fois sa «salle de classe», sous l’œil attentif des animatrices. L’institutrice de 103 ans s’amuse: «Je n’ai exercé que deux ans. De mon temps, il fallait ensuite se marier pour ne pas rester vieille fille.» Elle ne tarde toutefois pas à remarquer l’absence d’une pièce maîtresse du mobilier. Où est passé son plumier en bois? «On y mettait tout dedans», confie-t-elle. Surprise mais satisfaite de l’aménagement, elle déclare: «Le travail réalisé est incroyable. Je ne m’y attendais pas du tout.»

Exposer un récit

A l’origine du projet, les six membres de l’équipe d’animation n’avaient d’abord pas imaginé recréer l’univers professionnel des personnes interviewées. «L’idée de départ était simplement de récolter des récits de vie autour du métier», affirme Jennifer Beeli Guhl, responsable animation. Après avoir fait passer une annonce dans le journal de l’institution, 17 résidents sur 105 signalent leur intérêt.

Les premiers entretiens débutent fin mars et rapidement l’équipe réfléchit à valoriser la démarche. Mises bout à bout, les idées prennent forme jusqu’à cette scénographie grandeur nature. «Tout le monde a aidé pour le mobilier. En cas de doutes, les aînés étaient là pour nous aiguiller», détaille la responsable.

Monté en deux jours, le résultat comprend en plus de la mise en scène un panneau résumant la profession, accompagné d’un portrait de la personne concernée. «Nous avons monté ce projet pour les résidents, c’était important que tous puissent en voir l’aboutissement», se réjouit Jennifer Beeli Guhl.

Accessible gratuitement au public, l’exposition se visite les après-midi jusqu’au 19 octobre. «Si cela leur fait plaisir, certains participants seront là pour accueillir les visiteurs», conclut l’animatrice.