Chauffeurs fatigués

Selon une étude rendue publique aujourd’hui, la santé des conducteurs de bus n’est pas très bonne

Une grande partie des conducteurs de bus, quel que soit leur âge, ressentent une fatigue extrême.

Transports «Je ressens une fatigue permanente en raison des horaires irréguliers et surtout du stress dû aux dangers de la route.» Martine Paccard, 56 ans, est conductrice de bus depuis 2005, engagée en 2008 aux Transports publics genevois. «Les cyclistes, les piétons et les autres usagers de la route sont régulièrement responsables d’incivilités. C’est très pénible à gérer au quotidien. Il faut être constamment aux aguets, pendant huit heures par jour, car la sécurité est primordiale.»

Fatigue, stress, mais aussi maux de dos, de tête, de nuque ou encore insomnies: telles sont quelques affections dont souffrent une grande partie des conducteurs de bus, quel que soit l’âge, selon une étude rendue publique aujourd’hui. Financée par l’Office fédéral des transports, cette enquête est le fruit d’une collaboration entre Unisanté et trois syndicats: le Syndicat du personnel des transports (SEV), le Syndicat des médias et de la communication (Syndicom) et le Syndicat des services publics (SSP-VOPD).

Plus précisément, il ressort que parmi les personnes ayant rempli le questionnaire (avec résultats exploitables, soit 873 sur 4324), un chauffeur sur deux ressent des douleurs musculaires de l’épaule ou du cou (57%), une fatigue anormale (50%) et des maux de dos (50%). Près de la moitié des chauffeurs a des troubles du sommeil (43%), du stress (42%), de l’irritabilité (36%) et des maux de tête (33%).

«Mauvaise santé globale»

Cependant, «l’étude n’est pas en mesure de démontrer un lien de causalité entre conditions de travail et état de santé des chauffeurs», indique Irina Guseva Canu, professeure à Unisanté et à l’Université de Lausanne, et responsable de l’étude. «Ce qui interpelle, c’est que les conducteurs de bus présentent des problèmes de santé cités davantage qu’au sein de la population générale.»

Cette étude est la troisième consacrée à cette thématique. «Les deux premières avaient déjà montré que les chauffeurs sont sujets à de nombreux problèmes de santé», souligne Christian Fankhauser, vice-président du syndicat SEV. Pour le responsable, il s’agit d’une sorte d’état des lieux. «Unisanté ambitionne d’aller plus loin et de mieux examiner les liens de cause à effet entre conditions de travail et état de santé des conducteurs de bus.»

Selon le syndicaliste, une conclusion importante du rapport, c’est la mauvaise santé globale des chauffeurs. «Les résultats de cette dernière étude ont confirmé les craintes soulevées lors des deux premières enquêtes, qui avaient montré que le stress dans la profession est plus important que dans la population en général.»

Cependant, sa manifestation a changé: davantage de douleurs, de problèmes de digestion et de sommeil sont ainsi relevés. «A force d’encaisser le stress, nos collègues le somatisent dans leur corps et développent des maladies», s’inquiète Christian Fankhauser.

Autre observation de l’étude: la crise sanitaire a eu pour conséquence une augmentation de la charge de travail des conducteurs, notamment en raison des absences dues au Covid (isolement ou quarantaine). «Nous avons relevé une forte hausse des arrêts-maladie en 2021, sans pouvoir cependant démontrer un lien de causalité direct avec la pandémie», précise Viviane Remy, doctorante à l’Université de Lausanne et à Unisanté, et l’une des auteurs de la recherche.

«Le Covid a été une période difficile», confirme Gilbert d’Alessandro, 58 ans, conducteur aux Transports publics fribourgeois depuis 33 ans et responsable syndical SEV. «Au tout début, la direction a refusé de condamner les portes avant des bus. Finalement, elle a accepté et a même installé des parois en plexiglas pour isoler le conducteur de la clientèle.»

Mais ce qui préoccupe le plus le chauffeur fribourgeois, c’est la fatigue qu’il ressent, «en raison du temps de récupération trop court». Même si c’est légal, il peut lui arriver d’avoir une pause de seulement neuf heures entre deux jours de travail.

C’est d’ailleurs la question des horaires qui a le plus surpris Christian Fankhauser dans l’étude: la très longue présence au travail. «Il arrive ainsi qu’une personne soit de service de 5 à 9 h, puis en pause de 9 à 11 h, puis de service de 11 à 14 h, puis en pause de 14 à 17 h et à nouveau de service de 17 à 20 h. Ces horaires coupés provoquent un étalement de la journée de travail et c’est très fatigant», illustre le syndicaliste.

Appel à des améliorations

Face à ce constat et au fait qu’un chauffeur sur trois a déjà conduit au moins une fois sans être en état de le faire (selon l’étude), le vice-président du SEV émet des revendications. «Il faut arrêter de faire pression sur les employés quand ils sont malades et cesser le «flicage». Il est nécessaire d’améliorer les conditions d’exercice de la profession, de réduire l’amplitude de la journée de travail et d’offrir des jours de congé plus réguliers», insiste-t-il. Christian Fankhauser estime également nécessaire d’engager davantage de personnel, «car de nombreuses entreprises de transport sont en sous-effectif».