Une balise sur le chemin des artisans

Les experts ont jugé 1300 pains, confiseries ou pâtisseries au Salon des goûts. Un jalon du progrès

Les 300 juges du Swiss Bakery Trophy (ici Léa Gaillet) ont enchaîné les expériences. Et les émotions.

Bulle Leur concentration religieuse contrastait avec l’intense brouhaha du Salon suisse des goûts et terroirs, ce week-end à Espace Gruyère. Entre jeudi et dimanche, 180 professionnels et 120 consommateurs se sont relayés sur le stand feutré du Swiss Bakery Trophy, l’unique concours national des boulangers, pâtissiers et confiseurs du pays. Mission: passer au crible de leurs papilles les 1300 produits présentés. Près de 200 enseignes, issues de 24 cantons, étaient en lice à Bulle.

D’emblée, Sébastien Knecht avertit les cinq experts de son groupe, qui siègent devant leur tablette: le marathon de la dégustation a ses écueils. Il faut éviter le syndrome du 8/10 ou du 9/10 systématique, qui évite au juge d’avoir à se justifier. Bannie, aussi, l’émotion trop manifeste qui pourrait influencer le reste du jury. C’est bien le produit anonymisé, ses qualités et sa correspondance avec l’argument de vente du producteur, qu’il faut évaluer.

Première fournée: un Starka Bündner que le boulanger a voulu «cuit avec intensité» et doté d’une mie humide, irrégulière et pleine d’arômes. Chaque membre du jury inspecte la forme du pain. On plante le nez dans la mie, on tâte, avant de mastiquer minutieusement. Sur leur tablette, les experts renseignent peu à peu les six champs: l’impression générale, la forme, la surface, la texture, la réaction en bouche, et enfin l’odeur, le goût et l’arôme.

Du très bien au parfait

Après six minutes, le tour de table commence. L’ingénieur Martial Utz, expert consommateur pour la quatrième année, attendait «quelque chose de plus croustillant», mais apprécie «l’acidité de la mie» et l’aspect rustique de la forme. Sa collègue Sandra Corti, enseignante professionnelle (en anglais), est séduite par la mie humide, moins par la forme. Du côté des professionnels, le formateur vaudois Christian Muster signale la «belle texture de la mie», mais déplore l’excès de farine sur la croûte. Léa Gaillet, maître socioprofessionnelle à la boulangerie Pomme d’Appli, à Marly, met en exergue la mie «équilibrée, à la fois courte en bouche et élastique». Par contre, elle cherche encore «la touche florale». «Il a dû se produire quelque chose durant la fermentation», achève Sébastien Knecht, responsable du centre de compétence Richemont Romandie.

Malgré ce flot de critiques, le Starka Bündner avoisine les 8 points sur 10. Bizarre? «Non non. Ce n’est pas parfait, mais ça reste très bien: les critiques justifient juste cet écart de pondération», explique Sébastien Knecht, avant de préparer la portion suivante. Et le groupe enchaîne les saveurs avec la même rigueur.

Un petit pain au chocolat avec maïs paraît inachevé. Un mini-Bullois passion (le gâteau bullois en mode exotique) cherche son équilibre, tandis qu’un éclair de mousse de truite se révèle un peu trop compliqué. Suivent des amaretti à la pistache, une tourte au whisky, un pain complet à l’épeautre, un bonbon «vieille prune» et un «sandwich au mètre». Rien d’absolument extraordinaire, sauf un rouleau à la cannelle dont la légèreté enthousiasme, et un saint-honoré bénichon inspirant. Mais, à force, les papilles ne finissent-elles pas par se croiser? «Ça va. Il faut surtout manger peu, pour garder l’envie», glisse Léa Gaillet.

Les cinq experts sont unanimes: ils sont là pour que leurs critiques, synthétisées dans un rapport, aident les producteurs à bonifier encore leurs joyaux. Sensibles aux «promesses du produit» et aux attentes, Martial Utz et Sandra Corti sont aussi venus apprendre, partager et soutenir les artisans, face «aux grandes surfaces» et à «l’industrie». Léa Gaillet, lauréate du mondial du pain en 2012, confie de son côté qu’elle juge aussi pour «trouver des idées». «C’est en effet l’occasion de créer l’émulation, d’inciter les artisans à échanger, à se parler», abonde Sébastien Knecht. «Depuis la première édition, en 2004, le niveau ne cesse d’augmenter, en qualité comme en originalité.»

Pas en chocolat

«Légèreté, saisonnalité, ancrage régional, développement des confiseries et des snacks»: le concours suit, stimule ou apporte un regard critique sur les tendances du marché, appuie Nicolas Taillens, responsable du Swiss Bakery Trophy, organisé par l’association romande de la branche. «Environ 43% des produits recevront une médaille. Pour l’or, c’est 12%. Chaque produit est unique et représente en quelque sorte une catégorie. On mesure ici l’excellence de sa réalisation. Et il y a des déçus.»