Psychologues dans l’incertitude

Dès janvier, des milliers de patients pourraient être privés de suivi psychothérapeutique

Quelque 12 000 patients pourraient se retrouver sans soins psychothérapeutiques dès janvier 2023.

Santé Quelque 12 000 patients nécessitant des psychothérapies pourraient se retrouver dès janvier sans soins prodigués par des psychologues en formation. Ceci rien qu’en Suisse romande et au Tessin. Facturant jusqu’ici leurs frais par l’entremise de leurs médecins délégants, pour bénéficier d’un remboursement par l’Assurance obligatoire des soins (AOS), ces psychothérapeutes en devenir ne pourront plus procéder de la sorte dès 2023. Les conditions pour exercer cette profession à la charge de la LAMal vont changer.

Le hic est que rien n’a été prévu pour eux, les laissant dans le vague. Ne pouvant plus facturer les frais, ils ne pourront plus exercer. «Bientôt non reconnues par les assureurs et victimes d’un flou juridique, ces personnes vont se retrouver au chômage, alors que nous vivons une pénurie», prévient déjà Simon Zurich, vice-président de la Fédération suisse des patients.

Profession instable

Un sondage interne à la profession avait déjà révélé au printemps l’ampleur du phénomène. En Suisse latine, sur 345 psychologues en formation sondés, qui visent un titre postgrade d’ici à 2027, un tiers s’était déjà fait à l’idée de devoir quitter son poste avec l’introduction de la nouvelle réglementation concernant la psychothérapie pratiquée par des psychologues, laquelle comprend le passage d’un modèle de délégation à un modèle de prescription. Une trentaine de ces futurs psychothérapeutes s’étaient déjà vus signifier un licenciement et un tiers ignorait de quoi l’avenir serait fait.

Chaque semaine, ce sont quelque 7400 patients qui sont traités par leurs soins. Et près de 12 000 si l’on considère l’ensemble des consultations qui, pour majorité, s’opèrent dans un cabinet médical où le médecin psychiatre chapeaute le personnel formé. D’où le terme de délégation. Près de 90% facturaient jusqu’ici leurs prestations à l’AOS via le médecin psychiatre qui les employait ou alors via un médecin hospitalier.

Lettres de licenciement

«Des lettres de licenciement ont déjà dû être envoyées fin septembre depuis les cabinets», atteste Eugénie Terrapon, présidente de l’Association fribourgeoise des psychologues (AFP), dont la faîtière a milité pour l’introduction du nouveau régime. «L’entrée dans la LAMal était nécessaire», justifie-t-elle. Mais elle concède que le laps de temps était «trop court pour cette transition». Selon le sondage précité, six psychologues en formation sur dix craignent aussi de ne pouvoir accomplir, autre condition posée, l’équivalent d’un an de pratique clinique à 100% dans une institution reconnue. «Il n’y a pas assez de places», lâche Simon Zurich.

Psychothérapeute en formation de 28 ans et employée depuis neuf mois dans un cabinet à Fribourg, Camille Muheim confirme: «Je ne sais pas dans quelles conditions je vais pouvoir continuer à exercer, ni même si je pourrai le faire. Cette incertitude met en péril ma formation.» Il faudrait élargir, selon elle, la palette des possibilités de se former. Elle parle «d’une génération de psychothérapeutes sacrifiée». Dans son cabinet, six psychologues sont concernés, avec des conséquences directes pour environ 300 patients.

Proposition last minute

Pour rectifier le tir, une piste est évoquée: la possibilité d’être pris sous l’aile de psychothérapeutes titrés au bénéfice de cinq ans d’expérience. «Ce serait une solution, mais les cabinets sont pleins et plusieurs psychothérapeutes ne voudraient pas les encadrer en endossant le rôle d’employeurs. C’est risqué aussi financièrement», selon Eugénie Terrapon. Cette dernière a informé la santé publique du canton de Fribourg, dont elle attend une réponse.

A Berne, la conseillère nationale soleuroise Franziska Roth (ps) s’est, elle, inquiétée du sort des enfants et adolescents qui suivent ces thérapies et souffrent «d’une offre déjà insuffisante». Fin août, dans la réponse à son interpellation, le Conseil fédéral a estimé qu’il «n’était pas nécessaire pour l’instant de mettre en œuvre des mesures concernant la reconnaissance de cabinets ambulatoires de psychologues psychothérapeutes en tant qu’établissements de formation postgrade». Reste désormais moins de trois mois pour trouver la panacée.