Une savoureuse histoire

Le Musée d’Estavayer-le-Lac et ses grenouilles s’intéresse aux souvenirs culinaires avec Miam!

L’exposition décline ses quinze thèmes dans plusieurs salles, ici la cuisine. Elle s’y intéresse notamment au potager.

Exposition On l’appelle «L’ivrogne». Cette grenouille tient dans la patte une bouteille vide, une bien grande bouteille pour un si petit batracien. Si elle ne titube pas, c’est qu’elle a été naturalisée par François Perrier au XIXe siècle. Visible dans la collection permanente du Musée d’Estavayer-le-Lac et ses grenouilles, l’animal sert également d’illustration à un des quinze thèmes de la nouvelle exposition temporaire de l’institution, Miam!, consacrée aux souvenirs culinaires. C’est une délicieuse manière de se plonger dans le passé de la région (depuis la préhistoire), de suivre l’évolution de nos habitudes alimentaires et de mettre en lumière quelques spécificités staviacoises.

La bénichon – elle a lieu en août de ce côté-ci du canton de Fribourg – est la pièce de résistance de cette visite savoureuse se déclinant dans trois salles. Le vin que l’on boit volontiers lors de la fête de famille en fait partie, comme le rappelait la grenouille en ayant abusé et affublée d’un nom peu flatteur. La région est viticole, la boisson est d’ailleurs un «héritage de l’Empire romain dont fait partie le territoire suisse dès 58 av. J.-C. Cette année est, avec quelques réserves, admise comme marquant le début de la viticulture suisse», indique un des panneaux émaillant l’exposition. Les vignes se sont étendues sur le Plateau au fil des ans mais après le passage du phylloxéra au XIXe siècle, il n’est resté que quelques domaines dans la région staviacoise à Cheyres, Châbles et Font.

«Café» de figue

Le café terminant souvent le copieux repas est également une boisson mise en lumière par Miam!. Jakob Ammann a fait connaître le «breuvage turc» aux Suisses en 1618, un kawa alors uniquement bu par les hommes. Depuis, le liquide caféiné n’a cessé de gagner du terrain, de suivre les évolutions techniques. Il était indissociable du moulin à grains (on peut admirer une pièce du XIXe siècle) jusqu’à devenir une capsule futuriste pour nos machines. Longtemps considéré comme un produit de luxe, il a été remplacé par des ersatz jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Qui prendra un espresso de figue?

Le cœur de la fête marquant originellement la bénédiction de l’église paroissiale est un solide repas dont le menu traditionnel est affiché. Sa première mention telle que nous le connaissons date de 1852 et il a subi des modifications au cours du temps. Il compte aussi ses spécificités bénichonesques: vers 1950, les restaurants staviacois y avaient ainsi intégré les filets de perche. La place de choix de ce dîner fribourgeois revient toutefois aux viandes, ce qui permet au musée de se pencher sur l’histoire des boucheries staviacoises.

Outre les conversations qui peuvent être salées autour des grandes tables familiales, les mets servis sont souvent relevés de saveurs venant d’Orient. Les épices sont essentielles à de nombreux plats de la bénichon: le safran pour la cuchaule, les graines de moutarde pour cette confiture typique du canton qui monte au nez des gourmets sensibles, la cannelle pour la cuisson des poires à botzi. Les visiteurs pourront d’ailleurs s’exercer à reconnaître leurs odeurs en soulevant les couvercles de quelques pots.

On parlera encore du vin cuit (appelé parfois «raisinée») et de l’importance de la boulange (la recette d’un gâteau staviacois autrefois servi spécialement pour la bénichon et dont les ingrédients sont grossièrement listés intriguera). Loin d’être anecdotiques, les meringues raconteront à elles seules les progrès de notre société. A l’heure où nos kilowatts nous pèsent autant que nos kilos sur l’estomac, il est intéressant de regarder l’évolution de l’outil utilisé pour battre les œufs en neige: les branches de bois réunies en fagots sont devenues fouet manuel puis appareil électrique.

Des récits de vie

Le regard se portera parfois bien plus loin en arrière. Les vestiges préhistoriques carbonisés diront ce qui était consommé dans la région il y a 4000 ans (du froment et des glands). Les comptes de la Maisnie d’Humbert le Bâtard – le musée se trouve dans le bâtiment où il logeait lors de ses séjours à Estavayer – dévoileront la diète d’un seigneur staviacois au XVe siècle. Les souvenirs se dégusteront aussi grâce aux témoignages récoltés par l’Association de recueilleuses et recueilleurs de récits de vie (ARRV) et audibles via des QR codes. Même les enfants devraient s’y retrouver au travers de différents jeux dont une pêche aux poissons permettant de distinguer les espèces d’eaux douces et celles amatrices de grand large.

Reste que tout n’est pas directement lié à la bénichon dans cette visite. Pour le musée, il était impossible de ne pas évoquer la consommation des héroïnes de l’institution, les grenouilles, qui finissent parfois à la casserole. Cette spécialité s’inscrit dans une longue tradition gastronomique puisque ces petits animaux sauteurs apparaissent dans la cuisine européenne au XVIe siècle. Le mets pose évidemment la question de la souffrance animale et du bilan écologique: les batraciens étant protégés en Suisse depuis 1967, toutes les cuisses dégustées ici sont importées.

Jusqu’au 30 décembre au Musée d’Estavayer-le-Lac et ses grenouilles.