La traque aux dividendes est ouverte

L’Allemagne exige que les entreprises aidées cessent de payer leurs actionnaires. Mais pas la Suisse

UBS ou Credit Suisse n’ont pas l’intention de renoncer à verser de dividendes cette année.

Crise  En Allemagne, les entreprises qui vont bénéficier de l’aide de l’Etat pour franchir la crise du coronavirus se voient depuis lundi imposer une condition stricte: l’argent du contribuable ne doit pas aboutir dans les poches des actionnaires. Annoncée lundi par le Ministère des finances, cette mesure sonne le glas du versement de milliards d’euros de dividendes, de rachats d’actions, voire de bonus aux cadres dirigeants versés sous forme de titres.

Et en Suisse? Le SECO se dit «incapable» de dire si de telles conditions pourraient être adoptées. Aucune disposition de ce type n’est incluse dans le mécanisme de prêts garantis par la Confédération aux petites et moyennes entreprises mis en place il y a juste une semaine. Quant à des sociétés comme Swiss ou easyjet Switzerland, qui sollicitent l’Etat pour des montants de plusieurs dizaines de millions de francs, aucune condition n’a été rendue publique dans ce sens. La seule exigence du SECO est qu’elles recourent d’abord aux crédits garantis dans un premier temps, puis qu’elles adressent une demande commune avec leur banque aux départements fédéraux de l’économie et des finances.

UBS et CS augmentent

«La priorité doit pourtant être la préservation de l’économie réelle sur les priorités des actionnaires», regrette Paul Dembinski, professeur d’économie aux universités de Fribourg et de Genève. La seule restriction en vigueur actuellement est la recommandation faite par la Finma, le gendarme suisse des marchés financiers, adressée aux banques: freiner la distribution de dividendes et cesser de racheter leurs propres actions, car «les milliards (de francs, ndlr) qui pourraient être distribués aux actionnaires sous la forme de dividendes dans les semaines et les mois à venir pourraient être bien utiles plus tard. Nous ne voulons pas regretter la saison des dividendes de ce printemps lorsque nous nous regarderons dans le miroir plus tard cette année», a écrit son directeur Mark Branson dans la NZZ. Face à de telles recommandations, UBS et Credit Suisse ont confirmé qu’ils augmentent leurs dividendes, respectivement à 73 centimes par action au lieu de 70, et de près de 28 centimes au lieu de 26. A l’étranger, les grandes banques européennes, comme l’allemande Commerzbank et l’italienne Unicredit, annoncent pourtant les unes après les autres qu’elles y renoncent: la Banque centrale européenne le leur a clairement interdit vendredi soir. But de ces restrictions: réserver les milliards d’euros ainsi économisés pour financer les entreprises pendant et après la crise du Covid-19. Plusieurs institutions annoncent aussi une réduction des rémunérations de leurs grands patrons, à l’instar du géant espagnol Banco Santander.

De nombreuses entreprises non bancaires ont pris elles aussi spontanément le même chemin. Par surprise, l’éditeur suisse TX Group (anciennement Tamedia), a renoncé lundi à verser les bonus à ses dirigeants, en plus de payer le salaire plein à ses employés touchés par le chômage partiel. «La pression interne et de l’extérieur était sans doute trop forte pour ne rien faire», suppose la secrétaire syndicale romande Melina Schröter, de Syndicom. La proposition de payer un dividende est néanmoins toujours à l’agenda de l’assemblée générale des actionnaires, qui a lieu ce vendredi.

D’autres grandes entreprises suisses sont allées plus loin: le géant minier Glencore, à Zoug, a reporté la décision de son dividende, et le fabricant de matériaux dentaires Coltene, à Zurich, a divisé le sien. A l’étranger, le patron de FiatChrysler, va réduire son salaire de moitié pendant trois mois, réduire ceux de sa direction de 30% alors que les administrateurs ne toucheront aucune rémunération cette année.

Gestion prudente

«Réduire les coûts, c’est de la gestion prudente, particulièrement ces temps», commente Paul Dembinski. Qui nuance néanmoins: «De très nombreuses PME appartenant à leur patron rémunèrent ce dernier essentiellement au travers des dividendes. Ce ne sont évidemment pas ceux-là qu’il s’agit de supprimer afin de ne pas fragiliser des entrepreneurs déjà atteints par la crise», poursuit l’expert.

Néanmoins, les caisses de pension, qui sont de très gros actionnaires, et financent les avoirs et les retraites de leurs affiliés, devraient pouvoir se passer des dividendes pendant un an, ajoute le professeur des unis de Fribourg et de Genève: «Elles ont vécu de très belles années passées et devraient pouvoir tenir le choc.»