Michelin déploie son aile en mer

Un dispositif conçu par le centre de recherche de Givisiez équipe un navire de marine marchande

L’aile développée à Givisiez par les ingénieurs de Michelin est installée sur le roulier porte-conteneurs MN Pélican, qui pendule entre Bilbao, en Espagne, et Poole, au sud du Royaume-Uni.

Economie Ce projet phare a démarré par des essais sur le lac de Neuchâtel qui se poursuivent désormais en mer. Depuis cette semaine, l’aile développée par le centre de recherche de Michelin à Givisiez équipe un navire de la marine marchande, qui pendule entre l’Espagne et le Royaume-Uni. Le dispositif, qui a pour objectif de réduire la consommation de carburant et les émissions de CO2 du transport maritime en recourant à la force du vent, est testé jusqu’à la fin de l’année. «C’est un jalon très important», se félicite Christophe Penot, directeur de Michelin Recherche et Technique SA, entité fribourgeoise du géant du pneu.

L’aile qui équipe le roulier porte-conteneurs MN Pelican de la Compagnie maritime nantaise est similaire à celle qui avait été testée sur un voilier depuis le port d’Estavayer-le-Lac entre juillet et fin 2021 (La Liberté du 5 octobre 2021). La structure mesure 17 mètres de haut, pour une surface de 100 m2. «La taille est la même, mais la robustesse a été renforcée pour supporter des vents pouvant atteindre 30 à 50 nœuds (soit environ 55 à 92 km/h, ndlr)» précise Christophe Penot.

Cargo de 154 mètres

Le navire exploité par Britanny Ferries effectue deux allers-retours par semaine entre Bilbao et Poole, via le golfe de Gascogne. Le cargo, dont la vitesse maximale atteint une quarantaine de km/h, mesure 154,5 mètres de long, pour 22,7 mètres de large. Sa capacité est d’environ 100 véhicules (camions/remorques) non accompagnés. «Ces essais ont pour objectif de tester l’aile en conditions météo et de navigation réelles. Nous pouvons montrer que nous avançons et que notre installation n’est pas du vent», relève Christophe Penot, qui précise que les autorisations viennent d’être délivrées par les autorités maritimes.

A Givisiez, le centre de recherche de Michelin emploie une soixantaine de collaborateurs. Une petite dizaine d’ingénieurs se consacrent entièrement à ce projet, baptisé Wisamo, contraction de wing sails et mobility, soit «voiles ailées» et «mobilité», en français. A Lyon, la société Imeca, autre filiale de Michelin spécialisée dans la réalisation de prototypes, est également impliquée. «Ce n’est pas un métier naturel pour nos équipes de travailler sur des bateaux. Nous apprenons beaucoup», confie Christophe Penot.

Nouveau prototype

Dans leurs ateliers du Grand Fribourg, les ingénieurs de Michelin participent à l’élaboration d’un nouveau prototype d’une surface d’environ 800 m2, proche de l’installation que la multinationale ambitionne de mettre sur le marché à l’horizon 2026-2027. L’aile, qui sera fixée sur un mât d’environ 60 mètres de haut, doit permettre une réduction de 10 à 20% de la consommation de carburant des navires. «Les essais de cette année permettront de mesurer la résistance du mât, de l’aile et des tissus. Sur cette base, nous adapterons le design pour la version suivante. A la fin, l’idée est d’installer jusqu’à six ailes par navire», expose le directeur du centre de recherche de Givisiez. Michelin ne donne pas d’indication sur le prix de vente d’une aile, mais assure que le système Wisamo permettra un retour sur investissement en cinq ans.

Michelin, qui a investi plusieurs millions de francs dans ce projet, a créé une société ad hoc à Nantes, sur la côte atlantique, où travaille une quinzaine de collaborateurs. Le groupe a décidé en parallèle de localiser la direction technique et la production, non loin de là, sur son site de Vannes, en Bretagne. «Nous allons continuer à supporter l’effort de développement depuis Givisiez. Mais, à mesure, que le projet se rapprochera du marché, notre implication diminuera. Notre mission est d’initier des projets. C’est un succès lorsqu’ils se transforment en business», résume Christophe Penot.

Dérivé du parapente

Grâce à un mât télescopique, l’aile est rétractable (permettant par exemple de passer sous un pont) et son utilisation est entièrement automatisée. Un système de soufflerie maintient la structure gonflée en permanence. Porteur du projet depuis mars 2020, Michelin a racheté le concept d’une structure imaginée par deux Suisses: Edouard Keissi, marin et spécialiste des membranes de voile, et Laurent de Kalbermatten, inventeur du parapente.

Le navigateur Michel Desjoyaux, double vainqueur du Vendée Globe, accompagne le projet, comme consultant. Le skipper français avait d’ailleurs mis à disposition un voilier pour les essais à Estavayer-le-Lac. «Les tests menés sur le lac de Neuchâtel ont donné confiance à l’entreprise d’investir davantage. Les résultats ont permis de convaincre en interne et vers l’extérieur que cette technologie a un avenir», soutient Christophe Penot.

Avec ce projet, le géant français du pneu prend le large et s’écarte de son cœur de métier. Ce développement incarne la nouvelle stratégie de durabilité de Michelin et répond à ses objectifs de croissance sur de nouveaux marchés. D’ici à 2030, plus d’un quart du chiffre d’affaires du groupe devrait être réalisé hors du secteur du pneu. En 2022, les ventes de Michelin ont atteint un total de 28,59 milliards d’euros.