«Un défi permanent avec moi-même»

Patrick Catillaz, tétraplégique depuis trente-cinq ans, continue à faire du sport intensif. Une leçon de vie

Patrick Catillaz a été victime d’un accident qui l’a laissé tétraplégique en décembre 1984.

Ménières  Hier, il ralliait Lausanne à Yverdon-les-Bains en handbike, avec les concurrents du Giro Suisse (lire ci-­dessous). «Une promenade!» sourit ­Patrick Catillaz. Ce n’est pas cinquante kilomètres qui vont faire peur au Broyard, sportif de haut niveau depuis trois décennies. A 53 ans, il conserve une forme éblouissante, pratique ­toujours le rugby en fauteuil roulant. Et avale les kilomètres à vélo couché comme d’autres prennent le train. ­Patrick Catillaz est un fonceur. «Quand je fais du sport, rien ne m’arrête, dit-il. Je suis comme un taureau, droit devant!» Ce mental d’une dureté à toute épreuve, c’est son signe distinctif, sa marque, sa fierté. Mais il a dû la fabriquer de toutes pièces et l’affermir tous les jours.

Le 27 décembre 1984, alors qu’il vient de fêter ses dix-sept ans, Patrick Catillaz est victime d’un accident de la route comme passager. Un «putain» d’accident qui lui brise les cervicales et le laisse tétraplégique. Plus rien ne sera comme avant. Celui qui se destinait à reprendre le domaine agricole familial à Cugy se retrouve cloué dans un lit. «Ma famille m’a entouré, et ça a beaucoup compté. Mais c’est le mental qui a fait le reste. Je ne voulais pas rester sans rien faire. Sinon ma vie aurait été fichue.» Il décide de se battre et de passer son permis de conduire «pour se prouver qu’il peut». Après neuf mois de rééducation, il sortira de l’hôpital, permis en poche.

«Il était frappadingue»

«A ma première séance de physiothérapie, j’ai vu Jacques Losey, un paraplégique broyard, descendre des escaliers avec sa chaise. Je me suis dit qu’il était frappadingue. Et puis j’ai compris que tu peux faire plein de choses même en étant handicapé. Ce qu’il faisait, un tétraplégique ne peut pas le faire, on n’est pas égaux avec nos handicaps, mais cela m’a donné un coup de fouet pour me secouer.» Il passe neuf ans à la Fondation Foyer-Handicap, à Genève, et apprend le graphisme. Revenu ­s’établir dans la Broye, il se met à son compte. Surtout, il se lance dans le sport. «J’avais fait de l’athlétisme à Cugy, donc j’avais une base.» Il joue plusieurs années dans l’équipe suisse de rugby en fauteuil roulant. Actuellement, il fait encore partie de trois clubs: Genève, La Côte et Fribourg. Tous les lundis soir, il file à Gland faire du handbike et tous les mardis il va faire le tour du lac de Divonne.

Faire du sport, c’est facile pour les gens valides. Mais, quand on n’a pas l’usage de ses jambes ni de ses doigts, il en va autrement. «J’ai besoin de l’aide de ma femme pour me positionner sur le handbike. Ma préparation prend environ vingt minutes.» Il est à la recherche d’un système qui lui permettrait d’y aller de manière autonome, comme lorsqu’il rentre dans sa voiture avec un monte-charge avant de plier sa chaise. «L’une des rares choses qui peuvent m’énerver dans la vie, c’est quand je n’arrive pas à faire quelque chose. Des fois, c’est un détail, un objet tombé par terre.» Vider le lave-vaisselle peut lui prendre un certain temps. Tout ce qui paraît banal aux bipèdes devient un parcours du combattant.

A ceux qui chouinent

Dans une société où tant de gens se plaignent sur les réseaux sociaux, où chouiner sur son sort est à la mode, Patrick Catillaz se pose parfois des questions. «On en parle souvent avec des amis handicapés. Cela devient un problème de société: les gens ont de petits pépins, et ils pensent que c’est la fin du monde. Mais, quand il t’arrive un gros truc, tu changes vite de point de vue. Il te faut un vrai courage pour t’en sortir.» Les plus belles victoires ne sont pas celles qui vous font gagner une compétition avec les autres, mais celles que vous remportez sur vous-même, comme dit le philosophe.

La vie, c’est comme la course, «un défi permanent avec moi-même», dit Patrick Catillaz. Des fois, avec ses triceps qui fonctionnent à moitié, il crève de mal dans une côte. «Alors, je pousse, j’y vais à fond, pour me prouver que j’arrive encore.» Marié depuis 2005 avec Sarah, papa de Dorian, son fils adopté en 2011, il se dit fier du chemin parcouru. «Mais je suis quelqu’un qui regarde devant. C’est toujours le prochain défi qui compte. Le mien, ce sera de vieillir en gardant la même indépendance.»

Il rappelle que la société pourrait aider davantage les handicapés. Par exemple en cessant de mettre des marches infranchissables à l’entrée des bâtiments. «Les architectes n’y pensent pas, et pourtant une simple rampe ne coûte pas si cher. Cela aiderait aussi les personnes âgées et les mamans avec des poussettes. En Suisse, on a des ­années de retard.» Patrick Catillaz s’échauffe sur le sujet mais retrouve vite sa jovialité. Ce n’est pas parce que la vie est dure qu’il faut tirer la tronche. Pas son genre.