Six familles de Yéniches ont passé quatre mois dans la capitale, sur un terrain provisoire. Visite
Gens du voyage «Bienvenue! Entrez boire un café!» lance Marius Gerzner d’une voix joviale. Ce Fribourgeois fait partie des Yéniches qui vivent dans leur caravane toute l’année. Depuis quatre mois, lui et les siens se sont posés en ville de Fribourg. Sur un terrain privé, dans le quartier de la Pisciculture. On enlève ses chaussures pour entrer. «Nous sommes contents d’être ici à Fribourg et surtout d’avoir pu trouver ce lieu», explique Marius Gerzner, «L’hiver s’est bien passé. Peu de gens se sont aperçus que nous étions là.» Six familles vivent ici. Dix adultes et dix enfants. Le fils de Marius, Angel, qui est en apprentissage, joue à la Playstation avec son cousin Jonathan dans la caravane d’à côté. Kimberly, sa fille, qui suit des cours dans une école privée de Fribourg, fait ses devoirs.
«Dans quelques jours, au début mars, nous reprendrons la route», explique Albert Barras, porte-parole de la communauté yéniche, qui a également passé l’hiver ici. Il explique: «Nous sommes un peu comme les oiseaux, nous autres, dès qu’il y a un rayon de soleil, nous sentons l’appel du large. Nous avons besoin de reprendre la route. C’est notre culture», dit ce brocanteur spécialisé dans l’art populaire.
Heureux à Fribourg, d’accord. Mais ces concitoyens de la grand-route ne vivent pas une existence de bourgeois, tant s’en faut. Si le café est bon, la température intérieure reste en dessous de 20 degrés. «Il a fait froid cet hiver, admet Marius Gerzner. Rien que le gaz me coûte 600 francs par mois. Nous avons payé 280 francs par mois pour chaque emplacement, sans compter l’électricité, l’eau courante ou la location de sanitaires.»
«C’est plus difficile pour nous de trouver du travail en ce moment avec le coronavirus», explique Albert Barras. Faire la route cette année ne sera pas une sinécure, entre les places de stationnement fermées, les emplacements occupés, les communes qui rechignent à les accueillir ou le travail qu’il faut parfois chercher loin. «Il faut tout le temps penser au lendemain», admet Albert Barras. A 54 ans, il en connaît un rayon sur la vie de nomade, lui qui représente sa communauté au Conseil de l’Europe et fonctionne comme médiateur officiel dans le canton de Vaud, parfois dans d’autres cantons.
Fribourg peut faire beaucoup pour les Yéniches, disent nos deux hôtes. La solution est connue: il faut une deuxième place d’hivernage. Celle de Posieux, avec 22 emplacements, est loin d’être suffisante: une vingtaine de familles n’ont pas d’endroit pour l’hiver et doivent chercher des terrains privés. Le canton s’est engagé à trouver une solution et le Conseil d’Etat a établi une feuille de route le 23 novembre dernier (lire ci-dessous).
Un terrain, pas un luxe
«Pas besoin d’une place luxueuse qui coûterait des millions, assure Albert Barras. Ce qui nous serait utile, c’est un terrain d’un hectare. Nous nous engagerons à payer des locations ou à rembourser un achat sur une longue durée. Nous ne demandons pas d’aide, juste un cautionnement.» L’homme remue ciel et terre depuis plusieurs années pour faire avancer ce projet. «C’est urgent, nous n’aimerions pas nous retrouver sans solution au début de chaque hiver.»
Cet emplacement à la Pisciculture a pu être trouvé avec l’aide de l’ancienne juge au Tribunal cantonal, Gabrielle Multone. «La feuille de route du Conseil d’Etat fribourgeois prouve la volonté des autorités de trouver une solution, se félicite-t-elle. Mais ce n’est pas simple, car les règles qui régissent l’aménagement du territoire ne permettent pas de trouver un terrain en un claquement de doigts. Une solution définitive pourrait prendre des années. En attendant, il faudra trouver des places transitoires chaque hiver. Je m’engage à y travailler de toutes mes forces.» Après avoir découvert la culture des Yéniches, leur histoire tragique, la juriste dit «les admirer pour leur liberté, leur indépendance, leur volonté de s’en sortir sans aide. Je souhaite vivement que le canton de Fribourg les associe à la feuille de route et à la recherche d’un terrain.»