Energie L «La gratuité fait l’affaire de tous, sauf des hommes d’affaires.» Cette maxime récurrente de l’histoire industrielle convient parfaitement à l’énergie solaire.
Cette énergie aux ressources illimitées, qui faisait l’objet de développements techniques très remarqués dans le dernier quart du XIX e siècle, était appelée à un avenir radieux. Mais c’était compter sans la naissance en parallèle d’une industrie pétrolière beaucoup plus lucrative. En effet, le pétrole pouvait être vendu, contrairement aux rayons du Soleil. Les technologies solaires ont alors été largement «oubliées» durant des décennies, mis à part dans certains secteurs de niche. Il a fallu les crises énergétiques des années 1970, la prise de conscience de l’épuisement des ressources naturelles et l’observation du changement climatique pour que finalement le solaire s’impose comme une alternative durable.
Mais que de temps perdu, quand on sait qu’en 1839, le physicien français Alexandre Edmond Becquerel avait déjà découvert l’effet photovoltaïque à l’aide d’une électrode plongée dans une solution conductrice exposée à la lumière.
Et qu’en 1861, l’inventeur et professeur de physique français Augustin Mouchot déposait un brevet pour une «héliopompe» destinée à chauffer l’eau grâce au Soleil.
Cette sorte de cuiseur solaire, dont le principe prolongeait les travaux d’Horace-Bénédict de Saussure, Claude Pouillet et Macedonio Melloni, visait déjà à trouver une source d’énergie alternative au charbon. Pareille cocotte permettait d’obtenir «un excellent pot-au-feu» d’un kilo en quatre heures, selon son auteur. Du slow cooking avant l’heure!
Médaille d’or à Paris
Mais c’est surtout son moteur solaire, mis au point en compagnie du jeune ingénieur Abel Pifre, qui va faire connaître Augustin Mouchot auprès de l’Académie et du public. Ce «générateur solaire», formé d’un miroir conique plaqué d’argent avec, en son centre, une cloche de verre servant de chaudière, permettait de produire de la vapeur d’eau à une pression de 5 atmosphères, explique Abel Pifre dans ses conférences sur l’utilisation de la chaleur solaire 1 . La machine, montrée à Napoléon III, obtient un joli succès. Les chercheurs produisent alors des modèles toujours plus grands. L’un d’entre eux, qui mesurait 20 m 2 , est présenté à l’Exposition universelle de Paris en 1878. Il obtient une médaille d’or.
Quatre ans plus tard, Abel Pifre fait la démonstration pratique de l’utilisation du récepteur solaire comme force mécanique.
Lors du meeting de l’Union française de la jeunesse au jardin des Tuileries, il couple la chaudière à vapeur à une presse Marinoni, imprimant durant l’après-midi un journal spécialement composé pour la circonstance, le Soleil-Journal.
Le tirage moyen obtenu est de 500 exemplaires à l’heure. Le procédé, qui peut théoriquement répondre à une multitude d’autres besoins, fait ensuite l’objet de nombreux projets, jusque dans les colonies.
«C’était au Soleil secourable qu’il fallait s’adresser» Emile Zola
Jusqu’à la fin du XIX e siècle, l’énergie solaire suscite l’enthousiasme.
En 1901, dans son roman d’anticipation Travail, Emile Zola en témoigne. Il imagine faire recours au «Soleil secourable» pour parer, comme le craint son personnage Jordan, à «l’épuisement certain des mines de charbon (…) avant un siècle peut-être». Le problème, écrit le célèbre écrivain et journaliste français, moins de deux ans avant sa mort, se posait d’une façon «à la fois simple et formidable»: «Il s’agissait de s’adresser directement au Soleil, de capter la chaleur solaire et de la transformer à l’aide d’appareils spéciaux en électricité, dont il faudrait ensuite conserver des provisions énormes, dans des réservoirs imperméables.
De la sorte, il y aurait sans cesse là une source de force illimitée, dont on disposerait à sa guise.» 2 Mais le feu d’artifice tant annoncé s’étouffa dans la viscosité d’une mare de pétrole.
Il faudra attendre un siècle pour que le solaire soit «mis dans une bouteille». En l’occurrence, sous forme d’hydrogène.
Usage spatial
L’énergie solaire photovoltaïque, elle, a percé un peu plus vite à travers les brumes du fossile.
Après plusieurs décennies de recherche pure, ponctuées par les Prix Nobel de physique d’Albert Einstein en 1921 (pour sa découverte de la loi de l’effet photoélectrique), puis de Robert Andrews Millikan en 1923, ce sont les Laboratoires Bell, aux Etats-Unis qui, dès le début des années 1950, se lancent dans la conception de panneaux solaires.
La première cellule solaire en silicium d’intérêt pratique, d’une surface de 2 cm 2 et d’une efficacité de 6%, est mise au point en 1954 par les chercheurs Chapin, Pearson et Prince. Les premiers panneaux sont utilisés sur le réseau téléphonique et pour les activités spatiales. Le premier satellite utilisant de l’énergie solaire, Vanguard I, est lancé en 1958.
Comme souvent, les développements technologiques du secteur spatial ont des retombées sur Terre. Le photovoltaïque s’impose d’abord sur des montres-bracelets et des calculettes.
Jimmy Carter installe les premiers panneaux solaires de la Maison-Blanche en 1979, à l’époque du deuxième choc pétrolier.
Ce n’est cependant qu’à partir des années 1990, que le solaire photovoltaïque va évoluer d’un simple marché de niche vers une source de production d’électricité à échelle industrielle. Aujourd’hui, le potentiel est encore énorme au niveau planétaire. Mais le «Soleil secourable» d’Emile Zola est toujours aussi généreux… Alors, pourquoi s’en priver? L 1 Abel Pifre, L’Utilisation de la chaleur solaire, Edition établie par Eric Dussert, Ed. Livroscope, 2015.
2 Emile Zola, Travail, Les Quatre Evangiles II, 1901, Bibliothèque électronique du Québec. En ligne.