Endettement L «On m’a proposé cette carte avec un rabais important sur mes achats si je prenais la carte fidélité. Le problème c’est que quand vous achetez, il faut rembourser derrière.» La vingtaine à peine entamée, Olivier* ne se rend pas compte des enjeux lorsqu’il souscrit à une offre de carte de crédit chez Manor. De quoi faire des cadeaux à ses proches à Noël, alors qu’il est déjà entraîné par la spirale de l’endettement.

«C’était très simple», poursuit ce jeune Vaudois. «Il suffisait de remplir un formulaire pour faire les achats le jour même. Et on reçoit la carte à la maison quelques jours plus tard.» Alors qu’il accumule les dettes, il continue à contracter des emprunts au moyen de ces cartes. «Je n’en avais pas besoin. Mais j’avais l’impression de ne jamais rien pouvoir me payer. Du coup, on essaie là où ça marche.»

Des intérêts à 11%

Le jeune logisticien ne comprend pas qu’il vient de contracter un emprunt avec 11% d’intérêts. Très vite les frais de relance s’accumulent et les maisons de recouvrement entrent en jeu. «Tant que nous ne sommes pas fichés, ils mettent à disposition des montants énormes sur ces cartes», explique le jeune homme. Endetté, il utilise alors la carte de crédit de la Coop qui permet de payer l’essence mais également les articles dans une station-service.

Durant trois à quatre ans, Olivier et sa femme tiendront bon, prolongeant les factures avant les poursuites. C’est à ce moment-là qu’ils iront voir Caritas Vaud. «Nous avons beaucoup de personnes qui débarquent chez nous après avoir contracté des dettes dans le cadre de cartes de fidélité qui sont en fait des cartes de crédit déguisées», explique Mélanie Dieguez, responsable du service social de l’association. «La plupart du temps, ce sont des personnes qui n’ont pas les moyens et qui accentuent leurs problèmes financiers.»

La spécialiste du désendettement fustige ces cartes proposées «trop facilement» avec des «vérifications sommaires». Et d’ajouter: «Dans le cas de certaines personnes que nous aidons, les gens n’ont parfois plus les moyens de s’alimenter. Du coup, ils font leurs courses à crédit à Manor malgré les prix élevés.»

Même son de cloche du côté de la Fédération romande des consommateurs. «De nombreux consommateurs se mélangent les pinceaux entre toutes les cartes et cela peut vite coûter très cher», souligne Jean Tschopp, juriste responsable conseil à la FRC. Il s’inquiète de l’entrée en vigueur le 1er mai d’un nouveau taux d’intérêt. Passant de 10 à 11%, il pourrait grever encore plus le budget de familles qui sont en difficultés financières.

«La loi dit qu’un émetteur de carte a l’obligation de se renseigner sur la situation financière du consommateur, à défaut le contrat est nul.» En pratique, cet examen comporte parfois certaines approximations. En mars dernier, un internaute se plaignait ainsi auprès de la FRC: «Ma nièce a une dette de 2500 francs avec sa carte Manor. Elle a pu souscrire cette carte de crédit Manor sans remettre de document concernant sa capacité financière.» Il s’interroge: «Est-ce normal d’octroyer des cartes de crédit sur la· bonne foi sans aucune validation (documents) sur sa solvabilité?»

«Contrôle strict»

Interrogée à ce sujet, la porte-parole de Manor explique que: «Pour toute demande de carte de crédit, l’établissement de crédit partenaire effectue un contrôle de solvabilité strict et approfondi, basé entre autres sur les salaires (avec l’obligation de fournir les trois dernières feuilles de paie), les entrées et dépenses fixes… La limite de crédit est adaptée en conséquence.» Ce qui n’a pas été le cas lors du test effectué par La Liberté (voir ci-dessous).

Une autre consommatrice s’est plainte de voir sa «carte de fidélité s’être transformée en carte de crédit» sans intervention de sa part. Elle a alors reçu des frais de traitement de la part de l’émetteur de carte, Viseca en l’occurrence. «L’émetteur a commencé par me dire que cela était le cas lorsque le siège social du site sur lequel les achats ont été effectués était situé hors de Suisse. Or, vérification faite sur mes précédents achats, c’est faux: certains sites sont grevés de frais, d’autres pas, alors qu’ils sont tous situés dans l’Union européenne», témoigne-t-elle encore. Une version contestée par la porte-parole de Manor: «Aucune carte de fidélité Manor n’a jamais été convertie en carte de crédit Manor sans demande client», se défend-elle.

«Fortes incitations»

Les grands magasins touchent-ils une commission au passage? Difficile à dire, mais Jean Tschopp constate de «plus en plus de propositions de cartes de crédit avec de fortes incitations». Les offres de rabais et les promotions deviennent ainsi monnaie courante afin de pousser les consommateurs à mettre la main au porte-monnaie. Ainsi la carte Fnac est gratuite pour les personnes qui prennent l’option de la carte de crédit. De même, chez Ikea, la Family Card se présente à la base avec l’option d’une carte de crédit. Une pratique généralisée qui pousse certains consommateurs à acheter des cartes de crédit, entraînant le risque d’oublier certaines factures, de multiplier les frais et les dettes.

Et en cas de non-remboursement, les établissements recourent à des maisons de recouvrement comme Intrum Justitia pour récupérer leur dû. «Derrière, il n’y a aucun humain», déplore Olivier. «Ces établissements rajoutent même des frais de recherche d’adresse allant jusqu’à 120 francs, alors qu’ils ont l’adresse dans le formulaire rempli au magasin. Avec eux, c’est tout simplement impossible de discuter.»

Olivier est en passe de sortir de l’engrenage. «L’année prochaine, j’aurai tout remboursé.»

* nom fictif