Canton L Albus Dumbledore, célèbre magicien de la saga Harry Potter, n’a qu’à bien se tenir. Muni de son ordinateur, le conseiller communal Jean- Claude Bernold arrive lui aussi à éteindre les lampadaires à distance à Cottens. Il lui suffit d’accéder à une application, et hop, il peut régler tout l’éclairage de la commune en quelques clics.

L’élu a ainsi sollicité une intervention pour un luminaire défectueux alors qu’il passait des vacances à Bangkok. Mais trêve d’anecdote, ce système permet aussi de plonger depuis près d’une année le village dans le noir de 23 h 30 à 5 h 30 du matin, exception faite des passages piétons et des abords de route cantonale, comme l’indique le syndic Gabriel Nussbaumer.

Cette extinction des feux sera obligatoire dans toutes les communes fribourgeoises à partir de 2029, qu’elle soit totale ou dynamique. Ainsi le veut la loi cantonale sur l’énergie et son règlement, dont les modifications sont entrées en vigueur en juin 2023. Il faudra éteindre entre minuit et 5 h du matin – des exceptions restant bien sûr possibles.

Actuellement, au moins 45 communes se sont déjà mises en conformité, selon des informations récoltées mais pas encore vérifiées, indique Pierre Vaudan, chargé de communication auprès de la Direction de l’économie, de l’emploi et de la formation professionnelle.

Le Service de l’énergie a par ailleurs récemment pris contact avec l’ensemble des communes fribourgeoises afin d’établir un point de situation. «Il s’agit en premier lieu d’agir sur la réduction de la pollution lumineuse ainsi que sur la consommation d’énergie», rappelle le porte-parole.

Cottens a déjà fait le pas

Le changement s’est fait en deux temps à Cottens. Durant la crise énergétique liée à la guerre en Ukraine, la commune a d’abord pratiqué l’extinction totale durant la nuit et fait passer une partie des lampadaires au sodium à des éclairages LED. Puis elle a étendu les LED à l’ensemble du village tout en s’équipant d’un éclairage dit «dynamique» grâce à un investissement de 155 000 francs accepté en assemblée communale, comme le récapitule Jean- Claude Bernold.

«Quand quelqu’un se trouve au-dessous des lampadaires munis de détecteurs de mouvement, ceux-ci s’allument durant trente secondes et ordonnent aux autres candélabres à proximité de faire de même.

Nous n’avons pas mis des détecteurs partout afin d’éviter l’effet sapin de Noël. Par contre, nous nous sommes concentrés sur des secteurs sensibles tels que trois quartiers, ceci suite à la demande des habitants», précise l’élu, notamment en charge des routes.

Si d’autres communes telles que Matran sont en pleine réflexion, Villars-sur-Glâne a aussi commencé à éteindre certains secteurs de 1 h à 5 h du matin depuis le 15 avril. «Comme des gens rentrent tardivement la nuit en traversant le parc urbain de Cormanon, nous nous demandons si nous n’allons pas y installer un éclairage dynamique», explique le syndic Bruno Marmier. Et d’ajouter que jusqu’alors, l’entier du village était éclairé en permanence durant toute la nuit.

Prez a aussi pris de l’avance: un budget de 160 000 francs va permettre d’équiper Prez-vers- Noréaz et Noréaz de lampadaires LED et dynamiques. «Pour Corserey, nous attendrons jusqu’à l’échéance de 2028, car l’éclairage a été modifié en LED en 2016, mais n’est pas compatible avec le système dynamique. Il faudra potentiellement le changer entièrement», expose le conseiller communal Pierre Bovet, notamment en charge de l’éclairage public.

Il ajoute que le système dynamique coûte environ 10% plus cher qu’un système classique, mais que cela permettra une extinction des feux assez tôt dans la soirée et, de facto, une économie supplémentaire d’énergie. Syndic de Givisiez, Eric Mennel ajoute que si l’extinction permet aussi des économies financières, celles-ci ne sont pas encore perceptibles si l’on compare avec la période précédente, étant donné l’envolée des coûts.

Des citoyens ont peur

Reste que se retrouver dans le noir complet n’est pas toujours évident. Une citoyenne de Givisiez en a témoigné lors d’une récente assemblée communale: «Je suis la porte-parole de plusieurs habitants qui ont peur de rentrer chez eux le soir après 23 h 30. Il m’est dernièrement arrivé d’être effleurée par une personne arrivant à toute allure avec une trottinette électrique, sans phare allumé. Si elle m’avait percutée, il y aurait eu deux blessés, ou je ne serais peut-être pas là pour en parler. Par ailleurs, on ne voit pas le gel par terre en hiver, tandis que s’il y a un minimum d’éclairage, le sol brille et on peut se sentir un peu rassuré.» L’habitante a donc demandé que les lumières restent allumées au moins jusqu’à l’arrivée du dernier bus.

Le Conseil communal a donc décidé d’adapter les horaires d’extinction en fonction des horaires des transports publics, comme l’indique Eric Mennel. Une étude est en cours concernant des quartiers où il n’est pour l’heure pas possible de couper tout l’éclairage en raison de la présence de passages piétons ou d’autres éléments de sécurité. Dans ces endroits-là, il faudra probablement changer des luminaires pour les remplacer par des systèmes dynamiques.

Pierre Vaudan réagit en disant que le problème aurait pu survenir dans d’autres circonstances, étant donné que l’éclairage public n’est pas forcément installé dans toutes les rues du canton: «La trottinette ne disposait par ailleurs pas de phare alors que les prescriptions en vigueur imposent un éclairage pour ce type de véhicule. D’une manière générale, pour la mise en œuvre du nouveau cadre légal, il peut être recommandé aux communes d’opter pour un éclairage dynamique plutôt que l’extinction, du moins dans certains secteurs.»

Il relaie aussi le point de vue de la Direction de la sécurité, de la justice et du sport: «La police cantonale ne constate à ce jour aucune augmentation des délits (routiers ou criminels) liés aux routes ou lieux publics dont l’éclairage est éteint durant tout ou partie de la nuit, étant précisé que les passages pour piétons doivent toujours rester éclairés. Cela dit, elle prend au sérieux les suggestions de la population et essaie toujours de proposer des solutions et améliorations là où elles sont nécessaires et possibles.»

Enfin, à Villarsel-sur-Marly, plus petite commune du canton en termes d’habitants, l’équation est plutôt simple: «Nous n’avons que trois lampadaires, qui se situent tous sur un passage piéton. Nous n’avons donc pas le droit de les éteindre, mais restons sensibles à la thématique de l’énergie, et nous les adapterons en LED», assure le syndic Luc Déglise.

«Nous n’avons pas mis des détecteurs partout afin d’éviter l’effet sapin de Noël»

Jean-Claude Bernold