«Il faut démystifier le numérique»

Les offres de formations se multiplient pour s’adapter à un monde qui change de plus en plus vite

En Suisse, comme ailleurs en Europe, plus de la majorité des seniors ne se sentent pas à l’aise avec les outils numériques.

Ordinateurs  Le soir, le samedi et les vacances scolaires, la salle de formation de FutureKids du boulevard de Grancy, à deux pas de la gare de Lausanne, est pleine d'enfants et d’adolescents venus découvrir les entrailles de l’informatique. Dès le 23 septembre prochain, des Syriens, Afghans, Erythréens, Turcs et autres réfugiés admis en tant que tels par la Confédération s’assiéront à leur place pour poursuivre le même objectif: s’initier aux mystères de la programmation. Dans un but: s’insérer dans le marché du travail helvétique.

Ces cours sont ceux du programme Power.Coders, créé et géré par l’association éponyme. En Suisse romande, c’est Magaly Mathys, ancienne cheffe de projet en matière de développement de sites internet à l’EPFL, qui se charge d’animer cette association avec deux collègues.

Besoins croisés

«L’idée de Power.Coders est née d’une contradiction, raconte-t-elle. D’une part, les réfugiés arrivés d’autres pays disposent parfois d’excellents bagages techniques, professionnels et personnels, mais ne sont pas insérés dans les réseaux du marché du travail. D’autre part, les entreprises informatiques peinent toujours plus à trouver des spécialistes. Alors, pourquoi ne pas permettre aux premiers de trouver une place de travail en répondant aux besoins des secondes?»

Désormais, les cours se succèdent dans les villes de Berne, Zurich et Lausanne au rythme de deux volées d’une quinzaine de personnes par an. En moyenne, huit participants sur dix ont trouvé un emploi au terme de cette formation accélérée. «Les étudiants doivent bien sûr être à l’aise avec un ordinateur. Mais ils n’ont pas besoin d’être informaticiens! Le premier critère, c’est leur motivation et leur envie d’apprendre», poursuit Magaly Mathys.

Inégalités

Le modèle est-il transposable aux autres habitants de ce pays? Mme Mathys en est persuadée. La clé, estime-t-elle, réside moins dans la complexité supposée des outils informatiques que dans l’image que le public s’en fait. «La multiplication de mots abstraits, comme «numérisation», fait souvent peur. Ce qu’il faut, c’est démystifier», ou ramener le défi pour ce qu’il est, à savoir un apprentissage, ou un simple perfectionnement, à la portée du plus grand nombre.

Mais comment cette démystification est-elle possible? Les Suisses ne se sentent pas égaux face à la technologie, selon les enquêtes de l’Office fédéral de la statistique. Si plus de 65% de jeunes (jusqu’à 24 ans) se disent à l’aise avec les outils numériques, cette proportion chute à chaque tranche d’âge, pour être inférieure à 30% pour les seniors de 55 à 64 ans, un spectre qui les situe dans la moyenne européenne. Le clivage ville-campagne et le niveau de formation jouent aussi un rôle.

Prescripteur

Mais la situation ne se résume pas qu'à des questions générationnelles, géographiques ou professionnelles. Les différences sont à chercher en chacun d'entre nous. «Les gens n’ont pas la même approche des outils numériques selon qu’ils en font un usage personnel ou professionnel», souligne Mireille Betrancourt, professeure en technologies de l’information et processus d'apprentissage à l’Université de Genève.

L’usage personnel est soutenu par la valorisation sociale de disposer du plus beau smartphone, des applications les plus utiles ou originales, de l’ordinateur le plus fonctionnel ou design... Pour l’usage professionnel, c'est une toute autre histoire. La décision de changer d’outil est généralement imposée d’en haut. Les utilisateurs se voient contraints de s'adapter à de nouveaux systèmes, de nouvelles fonctionnalités. «Les gens doivent apprivoiser un nouvel outil et recréer de nouvelles habitudes, ce qui prend du temps. Or, ce temps n'est que rarement accordé par les entreprises», poursuit la spécialiste. Le stress de l’utilisateur augmente encore si l’employeur laisse entendre que l’introduction du nouvel outil entraînera des suppressions de postes: les salariés qui peinent le plus à s’adapter comprennent vite le sort qui leur est réservé.

Coopération souhaitée

Les individus sont entraînés dans une spirale qui broie ceux qui ne l’accompagnent pas. Mais les moyens de l’accommoder et de la maîtriser sont nombreux. «Pour qu’un nouveau système fonctionne au mieux, il doit être développé avec la coopération de ses utilisateurs», souligne Mireille Betrancourt. Et si possible, pas uniquement avec le chef du service concerné par la pose de nouveaux ordinateurs, qui n’est pas forcément le mieux informé des nécessités de la marche du service...

Les réfugiés qui suivent les cours de Power.Coders ont, eux, un moyen très efficace d'apprendre: ils veulent absolument s’adapter. «Au point, note Magaly Mathys, qu’ils en font parfois trop!»