De jeunes migrants au sein d’un EMS

propose une rencontre entre des requérants mineurs et des personnes âgées

Les réalisateurs Thomas Wüthrich (à gauche) et Sonia Zoran (à droite) ont suivi le projet de l’artiste François Burland (au centre).

Documentaire  De jeunes adolescents grattent la surface d’une gravure géante en cours de création. Assis sur un canapé, un vieil homme observe. Le film Seuls Ensemble fait rencontrer deux mondes que tout semble séparer: celui des mineurs non accompagnés (jeunes requérants arrivés seuls en Suisse), et celui des personnes âgées. Le documentaire porte sur le projet de l’artiste François Burland, qui crée une gravure avec ces adolescents au milieu des résidents de l’EMS Le Marronnier, à Lutry.

Les réalisateurs Thomas Wüthrich et Sonia Zoran montrent les liens que réussit à tisser entre ces deux mondes le plasticien vaudois, engagé depuis plusieurs années auprès des jeunes migrants. Un documentaire poignant. Rencontre.

Comment l’idée de ce film 
a-t-elle germé?

François Burland: Pour ma part, c’est à l’issue d’une rencontre fortuite que le projet de gravure a pris forme. Le pasteur Ramelet de l’église de Saint-François cherchait une œuvre d’art pour l’EMS. Je lui ai proposé une gravure sur mesure. Le conseil de fondation a été très vite convaincu. J’ai débarqué avec 17 jeunes dans l’EMS. Nous y sommes restés trois semaines. Ils nous ont fait confiance.

Sonia Zoran:En 2015, nous étions allés à Lampedusa avec Thomas. Nous étions rentrés un jour avant le naufrage de 800 personnes. Nous ne pouvions pas rester sans rien faire. Quand, un an plus tard, François nous a parlé de ce projet. Il fallait que nous saisissions cette occasion. Tout s’est fait très vite.

Thomas Wüthrich:Nous ressentions vraiment le besoin de donner un visage à tous ces chiffres que l’on voyait dans les médias et d’humaniser les mots utilisés, comme réfugiés et migrants.

Pourquoi faire se rencontrer 
ces deux publics?

F.B.: Je travaille avec des jeunes migrants depuis 2013. Ils sont souvent entre eux. L’été, ils n’ont pas d’occupation, ils ruminent. Je cherche à développer des activités avec eux et à les mettre en lien avec d’autres acteurs de la vie sociale. Ce projet, la gravure, n’était qu’un moyen, un prétexte pour provoquer une rencontre avec des retraités. Il se trouve que les personnes âgées sont hors du système aussi. Comme eux, ils ont le temps.

S.Z.:Ce sont des solitudes qui se rencontrent. Ils sont confrontés à l’inconnu. Nous pensions trouver plus de contrastes, mais des similitudes sont apparues. Nous nous attendions aussi à plus de tensions, mais nous avons rencontré une grande tolérance et de la curiosité de la part des personnes âgées.

Y a-t-il eu tout de même 
des réticences particulières?

T.W.:Un jeune ne voulait pas être filmé. Il a participé au projet, mais il n’est pas présent sur les images. Nous avons choisi cinq jeunes parmi la quinzaine impliquée. Celles et ceux qui parlaient le mieux français et le plus volontiers.

François Burland, vous êtes 
au centre de ce film…

F.B.: Je n’ai pas fait ça en pensant qu’on allait autant parler de moi! Ce n’est pas un reproche, ni un regret. Mais ça m’embête d’être au centre. Je veux qu’on donne la parole à ces jeunes migrants. On parle tout le temps à leur place. Mais je trouve très beau la confiance accordée dans la création de ce film: de la part de l’EMS, des jeunes, des retraités. Et je suis très touché par l’implication de Sonia et Thomas auprès de ces mineurs. Ils les ont connus un an avant le film et ils restent présents auprès d’eux, encore maintenant.

Ces mineurs sont bien pris en charge, selon vous, dans le canton de Vaud, jusqu’à leurs 18 ans. Puis, une fois majeurs, ils sont lâchés dans la nature. Vous êtes critique envers le système?

F.B.:Aujourd’hui, il y a davantage de choses en place que ce qui existait lorsque nous avons tourné le film. Mais, le passage à 18 ans reste très difficile, car ils changent de statut. Ils quittent l’école, changent de foyer, perdent leur référent. Ils ont des assistants sociaux pour très peu de temps. Cela reste une période critique et angoissante pour eux.

Leur donner une telle visibilité, c’est les mettre en danger 
ou leur rendre service?

F.B.: Je pense que cela les protège. Il faut qu’on voie leur visage, qu’ils deviennent réels pour la population. C’est tellement facile de renvoyer quelqu’un qui n’existe pas. Dès qu’il a un visage, c’est plus dur. J’ai aussi accepté ce film pour qu’on leur donne une visibilité.

Qu’est-ce que ces jeunes sont devenus depuis?

F.B.:Ils vont très bien. Ils sont presque tous en formation.

T.W.: Deux filles du groupe sont même employées par l’EMS!

S.Z.:Un seul d’entre eux a reçu une décision négative et a décidé de fuir, alors qu’il devait se faire opérer. Nous lui avons dit de ne pas bouger, que nous ferions recours, mais il a malheureusement disparu. Nous ne savons pas où il est. Juste qu’il est en vie.

En salles depuis le 8 mai au Zinéma (Lausanne) et Cinéma Bio (Genève), notamment. Projections prévues au Prado (Bulle) le 12 juin à 18h, et au Rex (Fribourg) le 16 juin à 11h.